Quartiers &

Enjeux

transitions justes

croisés

Mise en récits

Notre société est et sera confrontée, dans son avenir, à de multiples facteurs de crises (climatique, écologique, sociale,démocratique1). Les projets de transitions qui visent à passer d’un développement linéaire vers une adaptation à ces défis nouveaux, demandent des transformations collectives mais aussi individuelles. Cela nécessite des prises de risques mais génère aussi du stress voire du déni. Ces transitions doivent transformer un modèle hérité qui a permis un développement mais insoutenable sur un temps long en un modèle de développement durable, ce qui implique une transformation de nos modes de vie.

La transition nécessite une conduite du changement au plan systémique. Pour conduire ce changement, il apparaît nécessaire d’impliquer les acteurs, de partir de leurs représentations et de construire avec eux une histoire partagée. La technologie ne nous sauvera pas. C’est la capacité à faire ensemble, à se représenter des enjeux communs, la capacité d’imagination qui nous permettra de répondre à ce défi. L’imaginaire n’étant que la représentation du réel, existant ou à venir.

La conduite du changement par la Mise En Récits(MER) est une méthode nouvelle, proposée parla Fabrique des transitions. Cette méthode est issue de l’analyse d’une expérience réussie sur le terrain à Loos-en-Gohelle, petite commune dans l’ex bassin minier du Pas-de-Calais.

Elle s’appuie sur 5 dimensions fondamentales :

  • Mettre en trajectoire
  • Communiquer honnêtement
  • Impliquer réellement
  • Organiser et vivre la coopération
  • Évaluer le changement

Mettre en trajectoire

Sur un territoire, même s’il y a des enjeux partagés et des convergences qui le relient aux autres territoires, son histoire en tisse une spécificité. Toutes les histoires, quelles qu’elles soient, peuvent être reconnues, accueillies et participer à la trame d’un récit collectif où chaque habitant.e, chaque acteur local trouve sa place en tant que membre à part entière d’une communauté. Ces récits vont nourrir votre communauté et votre territoire pour l’amener à développer ses opportunités et surtout sa résilience. La trajectoire doit montrer :Les différentes étapes du changement de modèle (nombre de jardins partagés actifs sur les quartiers, évolution de la production d’énergies renouvelables sur le territoire, du pourcentage de produits biologiques dans les cantines, …)L’histoire du territoire et son horizon désirable(comme à Loos-en-Gohelle, territoire minier qui se projette maintenant comme territoire producteur d’énergies renouvelables)La place de chacun.e doit être visible et le récit ancré et inclusif. Les individus peuvent ainsi s’y retrouver pour s’allier au projet du territoire :marquer l’implication passée mais aussi offrir une place où chacun.e peut se projeter. Pour mobiliser l’ensemble des habitants et des acteurs, les outils à mobiliser doivent être variés et faire appel aux différents moyens d’expression pour que chacun trouve sa place.

Communiquer honnêtement, pour exprimer l’intention

La communication honnête aura pour but d’embarquer le plus grand nombre de personnes dans le processus de changement. L’on identifiera les événements importants dans le passé sur lesquels on peut s’appuyer pour mieux appréhender le présent et prendre appui dessus pour se projeter vers une histoire rêvée. Cette histoire intégrera les données du territoire, les événements qui s’y déroulent et permettra d’imaginer des scénarios… Ce processus est à faire de manière individuelle et collective. Cette communication se connectera à la vie locale, articulée dans le temps et dans l’espace et surtout être sincère, honnête pour éviter le piège de la propagande. Les récits alternatifs y trouveront pleinement leur place, ainsi que les difficultés rencontrées ou les échecs, afin d’en tenir compte et d’enrichir la trajectoire, la vision partagée. Différents formats pourront alimenter ces récits : livre, BD, film, podcast, conte, pièce de théâtre…

Impliquer réellement

La population et les acteurs locaux ne doivent pas être seulement spectateurs mais acteurs du changement. L’accueil des initiatives des habitants est importante mais doit être associée à une mise en capacité d’agir, qui leur fournit les moyens de mettre en œuvre les projets. Ces actions doivent avoir un impact sur le quotidien, sur la vie du territoire. Plus l’impact est visible, plus il est générateur de fierté, plus il nourrit l’engagement. À Loos-en-Gohelle, la municipalité pratique le 50/50, ce qui signifie que pour chaque projet, les habitants et la collectivité s’impliquent à 50%. Par exemple, les habitants avaient envie de végétaliser les plates bandes en pied de leur immeuble. La collectivité leur a fourni le matériel nécessaire mais les habitants se sont chargés de la réalisation et de l’entretien des plates bandes. Les récits critiques doivent également être reconnus comme une forme d’engagement. Ces histoires critiques permettent de mesurer l’écart entre les actions menées pour servir cette histoire et ce qu’il reste à faire. Il est important ensuite d’impliquer les personnes critiques en les responsabilisant, en leur demandant ce qu’elles proposent. Un acteur critique qui raconte son désaccord initial mais aussi la manière dont il s’est impliqué pour y répondre, contribue au récit collectif et aura un impact important. “L’implication réelle est une posture d’accueil, de facilitation, d’accompagnement, d’amplification des projets impulsés par et pour les citoyen.nes. Ce sont une pratique et une posture radicalement différentes d’une attente de participation à des projets décidés ailleurs et imposés. Le succès et la durabilité sont également très différents.1”

Organiser et vivre la coopération

La mise en récits a pour but de faire coopérer l’ensemble des acteurs d’un territoire. Ils sont nommés les 4 fantastiques :- Les acteurs socioéconomiques qui regroupent la société civile sous toutes ces formes, leshabitant.es organisé.es ou pas, les collectifs citoyens, les associations mais également les entreprises, qu’elles soient de l’Économie Sociale et Solidaire ou qu’elles appartiennent au modèle dominant (que les transitions ont pour but de transformer totalement), les agriculteurs, les commerçants, les entrepreneurs au sens large…

Ce groupe d’acteurs est très large, selon les territoires et l’objectif défini lors de la mise en trajectoire, il ne regroupera pas exactement les mêmes parties prenantes:

  • Les élus des collectivités territoriales dont la légitimité est issue de la démocratie représentative,
  • Les agents des collectivités territoriales,
  • l’État sous ces différentes formes :État déconcentré, agences de l’État…Préfectures et sous préfectures, DDT,DREAL, DRAF, DRAC… Agence régionale de santé, éducation nationale, impôts, CPAM...

Le fait d’associer des acteurs publics et privés élargit la portée de ”l’action publique territoriale” et permet d’agir sur différents leviers d’actions pour transformer le territoire et la société. La réunion de ces acteurs met en lumière les conflits. La mise en récits révèle les conflits et les met au travail pour aller au-delà des “consensus mous” qui évitent d’aborder les vrais sujets. La coopération, c’est produire un objet commun mais ce n’est pas être d’accord sur tout. Pour avancer dans ce travail, il est important de questionner ses propres pratiques et sa posture. La posture peut parfois être limitante et empêcher des initiatives. Chaque acteur fait l’effort de se mettre à la place de l’autre pour comprendre son point de vue.

Évaluer le changement

Comment suivre l’évolution des changements en cours qui contribuent aux transitions écologiques et sociales de notre société. Agathe Devaux-Spatarakis, Docteur en sciences politiques, montre que l’évaluation est indispensable et peut avoir plusieurs usages :

  • Le type instrumental où l’utilisation des résultats de l’évaluation sert à modifier l’action si nécessaire ;
  • Le type apport d’un éclairage nouveau où les résultats de l’évaluation contribuent à voir l’action sous un angle nouveau et à apporter des connaissances sur un phénomène potentiellement transposable à d’autres contextes ;
  • Le type persuasif où l’évaluation est utilisée pour légitimer une décision, un choix, étaye une démonstration et sert d’argument.

Ces éléments découlent à la fois des résultats récoltés lors de l’évaluation mais également du processus mis en œuvre pour réaliser cette évaluation. L’évaluation permet d’identifier les décalages entre le projet initial et la réalisation, ce qui permet de l’enrichir ou de le corriger. Toutefois, l’évaluation au sens “Mise en récit” ne signifie pas obligatoirement le recours à des indicateurs chiffrés, qui ne permettent pas d’avoir une vision systémique de l’évolution du projet. Julian Perdrigeat, Délégué général de la Fabrique des transitions, témoigne du fait que : « ce qui compte vraiment ne se compte pas toujours, mais se raconte ». L’évaluation intègre les changements sensibles, qualitatifs, qui ne s’évaluent pas à l’aide de chiffres ou de graphiques, mais qui peuvent être racontés, dessinés, chantés, joués, observés...

Notes

1 kit Mise en récits - Cerdd, Mise à jour prévu en janvier2023

2 La mise en récits - Un outil pour la transition écologique dans les quartiers prioritaires - Inspirations et méthodes pour les acteurs et les habitant.es. Décembre 2023- Éco Transition stories

En savoir plus